Allez projetons nous dans l’avenir, la loi pour l’exception d’euthanasie va être votée. Elle va susciter des débats, certes, mais devant l’écrasante majorité de l’opinion en sa faveur, les parlementaires vont pencher pour le oui. Je dis « exception d’euthanasie » volontairement, et je la distingue de la « transgression d’euthanasie » qui existe déjà.
Voilà, la majeure partie de la société est tranquillisée, et pense reprendre le contrôle de sa vie et de sa liberté, qu’elle imagine confisquées par le corps médical. Il a bon dos le corps médical, à la fois faiseur de miracles – on attend tout de lui dans toutes les sphères, pour toutes les expertises – et institution aveugle dont il faut se méfier comme si nous passions notre temps à comploter contre le commun des mortels. Passons, l’illusion est donnée que le pouvoir est rendu aux patients, alors qu’en pratique, depuis 2004, ce renversement est écrit dans la loi. Seulement cette loi, tout le monde la rabâche, mais personne ne la connaît vraiment. Seul un slogan choc comme celui utilisé dans la régulation des prescriptions d’antibiotiques, avec large diffusion médiatique pourrait aider. Une idée du type: « les soins palliatifs sont impératifs ».
Allons-nous assister à une vague de morts provoquées au sein des institutions? Peut-être, beaucoup de patients attendaient ce moment, et souhaitent être soulagés – de leur vie – le plus rapidement possible. Passé cet effet, le recours sera plus exceptionnel.
Mais en fait, personne ne sait comment appliquer cette loi. Les décrets d’application tarderont à apparaître tant les modalités logistiques paraissent floues, ils ne permettront de toute façon pas une égalité d’accès à ce soin à travers le territoire. Cette inégalité aboutira à une perte de chance pour mourir, un comble.
Ce qui est sûr c’est que le débat ne va pas s’arrêter, loin de là. De national, il va directement passer au niveau local et pratique. Parce que l’interdiction de l’euthanasie « protégeait » les structures de soins palliatifs, dans le sens où elle leur donnait du temps pour « prouver » aux patients le bénéfice des soins proposés (la majorité des gens imaginent toujours les unités de soins palliatifs comme des mouroirs déshumanisés). Mais, les choses vont changer, le débat va exploser et gagner toutes les structures en charge de patients, avec en première ligne les services de soins de suite pour pathologies invalidantes lourdes, et les unités de médecine palliative. Cette loi comporte une clause de conscience, personne n’est tenu de donner la mort, même dans le but de soulager une souffrance, alors elle oblige tous les services à se repositionner, à se réinterroger. Secouer le cocotier de manière subversive n’a que du bon en théorie, sauf que là on va assister à un réel clivage entre ceux qui la pratiqueront et ceux qui ne la pratiqueront pas. Je me souviens du témoignage de cette médecin belge, qui a procédé au transfert d’un patient de son unité qui ne pratiquait pas, à une autre qui la proposait. Elle avait vécu ce transfert comme un échec, en sachant très bien que ce n’était pas d’elle dont il était question. Mais voilà, gros coup au moral, parce qu’elle était convaincue qu’elle pouvait encore donner à ce patient un temps de vie non négligeable. Etait-ce de l’obstination déraisonnable de sa part?
Un même service peut-il proposer à la fois médecine palliative et euthanasie? Non. Ma réponse est lapidaire. Imaginez le tableau, deux patients atteints de la même pathologie, en chambres voisines, avec les mêmes symptômes, l’un des deux veut être euthanasié, l’autre non. Le grand écart est trop grand, la gymnastique à accomplir trop complexe. L’équipe ne pourra que bafouiller dans les deux prises en charge. Et mettons nous à la place du patient: intégrer une unité qui pratique l’euthanasie lorsqu’on ne la désire pas? La confiance, si difficile à gagner au début d’une prise en charge palliative terminale tant l’histoire est lourde, sera encore plus inatteignable. La tranquillisation des bien portants, car ce sont surtout eux qui demandent à disposer de ce choix en fin de vie, peut avoir comme conséquence de fragiliser ceux qui se trouvent en situation de se poser la question. La seule solution sera l’émergence de structures ou d’unités qui ne feront que ça, avec la multiplication du cas de figure belge décrit plus haut. Et probablement que les structures de suicide assisté émergeront également, comme en Suisse. A moins que nous ne suivions l’exemple de l’Oregon, où tout se passe à domicile.
Dans ce débat qui anime notre société aujourd’hui, un élément n’est que peu évoqué et pourtant me semble essentiel à prendre en compte. Cet élément, c’est notre capacité d’adaptation. Notre capacité d’adaptation fait de nous de la pâte à modeler lorsqu’un traumatisme arrive. A la question posée à brûle pourpoint « que feriez vous si vous étiez atteint d’une maladie grave, incurable, génératrice de grosses souffrances? » et qu’une seule seconde est laissée pour répondre, tout le monde se projette en état de choc. Mourir paraît plus acceptable qu’imaginer tous les efforts à accomplir. Mais le temps est occulté de cette question, alors qu’il en est un élément fondamental.
Que fait-on lorsque le chocolat que l’on boit est trop chaud et qu’on s’y est brûlé la langue? On s’y fait et on attend que le chocolat refroidisse. L’annonce d’une maladie grave relève du même mécanisme, toutes proportions gardées. Les hommes font le deuil d’une certaine vision d’eux-mêmes, et s’ajustent en fonction. Les capacités d’adaptation de l’être humain sont extraordinaires, tant qu’il lui est laissé le temps de les mobiliser, nous disposons de ressources insoupçonnées, alors faisons-nous confiance! Et elles ne concernent pas que les patients atteints, elles concernent aussi leur entourage.
Alors évidemment, la pathologie grave fait peur. Evidemment, la perspective de perdre sa raison ou son autonomie dans les gestes de la vie quotidienne est une idée effroyable. Et la société a répondu à cette peur en laissant une illusion de choix, en laissant les gens penser qu’ils ont le contrôle de leur vie. Ce que je veux dire, c’est que personne ne décidera en état de choc.
Bon, la loi va passer hein, et comme tout le monde, j’attendrai qu’elle refroidisse. Je joue peut-être les Cassandre pour rien. Suis une pâte à modeler. M’adapterai.
J’aime beaucoup ta façon d’écrire et de manière générale je rejoins ta façon de voir les choses.
Par contre je n’avais encore jamais imaginé la façon de se déroulera(it) les choses une fois la loi passée… intéressant, vraiment.
J’aimerais que le monde soit un monde parfait où tous les patients en fin de vie pourraient aller dans ton service pour finir leurs jours tranquillement , sereinement. La vérité est que l’euthanasie active se pratique dans plein de services et de manière silencieuse en catimini, sans aucun contrôle et que c’est juste insupportable que les choses continuent ainsi.
Moi, sauf si j’emmerdais tout le monde, j’aimerais terminer ma vie ailleurs qu’à l’hôpital, entre les miens, ma famille, mes amis… Pas dans un service.
Bonjour,
J’ai du mal à comprendre pourquoi un service de soin palliatif ne pourrait pas proposer un accompagnement tel qui’il est proposé actuellement et repondre à une demande d’euthanasie .
Le fait d’avoir une loi n’implique pas forcement que les médecins vont euthanasier à tour de bras , ce n’est pas notre métier. Il me semble nécessaire que le patient et sa famille aient le pouvoir de choisir, je ne pense pas que cette loi est liberticide. L’euthanasie est pratiquée de toutes les manieres autant qu’elle soit faite par du personnel compétent comme ton équipe par exemple.
La societe est en demande de cette prise en charge , par société j’entends le mot patient , nous sommes au service de nos patients. Je demande juste qu’on écoute nos patients et que l’on respecte leurs volonté .
Je ne vois pas en quoi la cohabitation des deux services seraient un soucis si l’aiguillage au début est bon. Ca reste très obscure pour moi.
Après, il est vrai qu’il faudra savoir quand on pourrait bénéficier de ce nouveau droit 🙂
billet remarquable, car incitant à la reflexion, ce qui n’est pas le cas dans le débat actuel sur cette question, où tout est basé sur l’émotivité et la peur. merci.
« Les capacités d’adaptation de l’être humain sont extraordinaires, tant qu’il lui est laissé le temps de les mobiliser, nous disposons de ressources insoupçonnées, alors faisons-nous confiance! »
L’adaptation, chez un patient, peut aboutir réflexion faite, à la volonté de quitter prématurément ce monde. Qu’en est-il de notre adaptation, en tant que soignant, à cette demande, dès lors qu’elle est réitérée…?
L’adaptation ne vaut pas pour l’un sans l’autre.
Remarque pertinente en effet, mais je ne considère pas qu’une demande d’euthanasie soit le résultat acceptable de quelque mécanisme d’adaptation que ce soit. Je ne dénie à personne le droit de décider pour soi, au contraire, au quotidien mon travail est de rendre les gens à eux-mêmes. Quand on me prouvera que nous sommes tous égaux dans l’accès aux soins et tous libres de toute influence pour décider, j’aborderai la question avec d’autres perspectives.
La détresse psychologique et spirituelle persistantes, chez un être humain exprimant sa volonté, plus encore que la détresse physique, plus violentes et parfois masquées, ne brisent t-elles pas la barrière de « l’acceptabilité »?
Je pense qu’accorder l’exception d’euthanasie permettrait de donner une couverture légale à des pratiques tues et plus ou moins organisées, transgressives. Je ne suis pas sûr qu’il faille légiférer plus que ce qu’on a maintenant.
Sur le principe plutôt d’accord avec toi et ce billet a le mérite d’enrichir la réflexion. Mais ne suis pas convaincu que les soins palliatifs soient la panacée : as tu toujours pu proposer une solution de soulagement ? Il faut une alternative, au patient de choisir (quand il le peut)